Article initialement proposé sur le site du Monde

Les tensions autour de la disponibilité de la ressource en eau, dans un contexte de réchauffement climatique, vont s’accroître, mettant sous pression nos organisations sociales. L’exemple du barrage de Sivens (Tarn), marqué par la mort d’un militant écologiste il y a neuf ans, ou celui, plus récent, de projet de mégabassines dans les Deux-Sèvres, montrent l’impréparation des pouvoirs publics à faire face à des conflits de plus en plus fréquents autour du partage de l’eau.

En Ille-et-Vilaine, c’est le projet finalement abandonné d’installation d’une usine de production de viennoiseries surgelées (Bridor) qui a illustré les débats relatifs à un développement économique ne prenant pas véritablement en considération la raréfaction de la ressource en eau.

Dans un département déjà fortement impacté par la pollution de l’eau, une étude pilotée par Ronan Abhervé, aujourd’hui postdoctorant au Centre d’hydrogéologie et de géothermie de Neuchâtel, en Suisse, a permis de modéliser et de quantifier l’impact du changement climatique sur la disponibilité future d’une ressource : le barrage de la Chèze, utilisé pour fournir de l’eau potable dans le bassin rennais.

 Quelles que soient les projections climatiques utilisées, les résultats montrent la disparition progressive de cette retenue d’eau et l’augmentation des périodes de sécheresse. La sécheresse en 2022, la deuxième plus forte enregistrée depuis 1900, deviendra la norme d’ici à 2040.

Crise de l'eau, la réponse doit être démocratique

Mais que vaut ce constat si nous n’en prenons pas la mesure ? Certes, des instances de gouvernance existent, de même que des outils réglementaires encadrant par exemple les prélèvements d’eau, et de plus en plus de citoyens se mobilisent autour de la nécessité d’un meilleur partage de l’eau. Mais peu d’espaces de débat existent aujourd’hui pour poser la question cruciale des usages qu’il est impératif de conserver ou de développer, de manière à assurer l’habitabilité de territoires où l’eau va manquer.

 Ainsi, quelles instances sont légitimes pour décider qu’une usine de fabrication de croissants surgelés majoritairement destinés à l’export, qui va consommer plus de 200 000 mètres cubes d’eau par an, est essentielle ou non à un territoire ayant déjà connu des restrictions d’eau ? Comment former et accompagner les élus locaux face au défi de la réindustrialisation dans un contexte climatique bouleversé ? Comment les habitants sont-ils interrogés dans le cadre du renouvellement des arrêtés sécheresse, lesquels exonèrent pourtant les entreprises agroalimentaires de première transformation de toute restriction, sans aucune condition ?

A ces questions, le plan « eau » présenté récemment par le président Macron n’apporte aucune réponse. Ses intentions sont même en deçà des objectifs de baisse des prélèvements pourtant fixés par les Assises de l’eau, en 2019. Tout au plus ce plan évoque-t-il l’importance des commissions locales de l’eau (CLE), organes politiques de mise en œuvre des schémas d’aménagement et de gestion de l’eau.

 Il oublie en outre un pan entier de l’adaptation de notre système alimentaire, à savoir le développement massif de l’agroécologie pour augmenter la capacité de rétention en eau de nos sols et paysages, comme le rappelle Florence Habets, hydrogéologue et directrice de recherche au CNRS.

Crise de l'eau, la réponse doit être démocratique

Quelles instances sont légitimes pour décider qu’une usine de fabrication de croissants surgelés majoritairement destinés à l’export, qui va consommer plus de 200 000 mètres cubes d’eau par an, est essentielle ou non à un territoire ayant déjà connu des restrictions d’eau ?

Sur le terrain, l’impuissance des acteurs de l’eau est criante face, d’une part, à l’impréparation collective en matière de gestion de crise (conclusion reprise par l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable, dans le cadre du retour d’expérience sur la gestion de l’eau lors de la sécheresse 2022), et, d’autre part, face à des décisions de l’Etat contraires au double défi que constituent la sobriété et l’adaptation au réchauffement climatique. Seuls s’y opposent les recours juridiques des associations environnementales et des structures paysannes.

Plutôt que de caricaturer ou de réprimer ces oppositions, certains élus devraient saisir ce moment et offrir l’occasion d’un débat apaisé autour des usages de l’eau. Et renouer avec l’eau comme avec le vivant, d’abord en remettant sur l’ouvrage la décentralisation inachevée de la gouvernance de l’eau, comme le préconise la Cour des comptes dans un récent rapport publié en mars 2023. Il revient aux territoires hydrographiques de se doter d’outils collectifs pour mieux institutionnaliser le renoncement et convenir de ce qui est viable plutôt que de laisser cet arbitrage à des sphères économiques évoluant dans un contexte réglementaire laxiste.

Concrètement, il conviendrait de politiser les instances de l’eau telles que les commissions locales de l’eau en élisant leurs membres au suffrage direct. Il faudrait aussi donner les moyens de mettre en place de véritables stratégies d’adaptation opposables à l’ensemble des documents de planification et décisions administratives (y compris les permis de construire) qui impactent la capacité du milieu à retenir l’eau, ou prévoient une consommation importante d’eau brute ou potable.

Ensuite, permettre aux fleuves et cours d’eau une représentation politique et une existence juridique, comme le questionnait l’écrivain et juriste Camille de Toledo en 2020, à propos de la Loire, dans le cadre d’une expérience collective originale appelée « Les auditions du Parlement de Loire ».

L’enjeu n’est pas simplement de réfléchir à un plus juste partage des ressources, mais bien de redéfinir, à l’aune du défi climatique et des défaillances de la gestion de l’eau, les systèmes politiques ainsi que les cadres de pensée qui nous permettront de faire face à la dégradation des conditions de vie sur nos territoires.

Il revient aux territoires hydrographiques de se doter d’outils collectifs pour mieux institutionnaliser le renoncement et convenir de ce qui est viable plutôt que de laisser cet arbitrage à des sphères économiques évoluant dans un contexte réglementaire laxiste.

Concrètement, il conviendrait de politiser les instances de l’eau telles que les commissions locales de l’eau en élisant leurs membres au suffrage direct. Il faudrait aussi donner les moyens de mettre en place de véritables stratégies d’adaptation opposables à l’ensemble des documents de planification et décisions administratives (y compris les permis de construire) qui impactent la capacité du milieu à retenir l’eau, ou prévoient une consommation importante d’eau brute ou potable.

Ensuite, permettre aux fleuves et cours d’eau une représentation politique et une existence juridique, comme le questionnait l’écrivain et juriste Camille de Toledo en 2020, à propos de la Loire, dans le cadre d’une expérience collective originale appelée « Les auditions du Parlement de Loire ».

L’enjeu n’est pas simplement de réfléchir à un plus juste partage des ressources, mais bien de redéfinir, à l’aune du défi climatique et des défaillances de la gestion de l’eau, les systèmes politiques ainsi que les cadres de pensée qui nous permettront de faire face à la dégradation des conditions de vie sur nos territoires.

Retour à l'accueil