Réinventer l'Europe!

Quatre jours après le référendum sur le Brexit, un journaliste anglais, Mike Carter a publié un reportage réalisé auprès des Britanniques qui ont massivement voté en faveur de la sortie de l’Union Européenne. Loin des centres villes et des grosses agglomérations, dans les campagnes et la péri-urbanité. Il a marché, pendant un mois, et traversé des villes où le message était partout le même : « Il n’y a pas de boulot convenable » ; « les politiciens ne se préoccupent pas de nous » ; « on nous a oubliés » ; « trahis » ; « il y a trop d’immigrés, et on ne peut pas lutter contre les salaires qu’ils acceptent ».
Il raconte : « Il y a les petits commerces souvent franchisés de la rue piétonne, qui baissent leur rideau entre midi et deux, quand ils ne le font pas pour toujours. Il y a les dimanches soir d’ennui, quand tout est fermé, et les lundis de ville morte. Il y a l’usine, à l’abandon ou qui tourne au ralenti, rachetée, revendue, dépecée peu à peu, bientôt carcasse vide. Les machines ont filé ailleurs, les hommes sont restés, qui ont moins de valeur. Les enfants partent aussi. Ils vont étudier dans la capitale régionale et ne reviennent plus. »

Aujourd’hui, ce constat d’une Europe impuissante à construire une société plus juste et protectrice vis-à-vis des crises est repris en cœur par de nombreux citoyens européens, lassés des promesses de lendemains qui chantent.

Echelon politique lointain et technocratique, l’échelon politique européen génère de fait un sentiment d’impuissance, d’éloignement, alors que les décisions qui y sont prises impactent directement nos vies.

Pour ne rien arranger, cette défiance et cette animosité à l’égard des institutions européennes sont très largement instrumentalisées politiquement au profit de mouvements populistes qui prospèrent dans tous les pays d’Europe. Ces mouvements ont en effet su drainer vers eux les couches populaires qui votaient traditionnellement à gauche.

Pourtant, à l’origine de l’Europe est le souhait d’un progrès social et d’une prospérité pour tous.

S’il est indéniable que la construction européenne a su créer un espace de paix où les politiques économiques ont permis de relever le niveau de bien-être de ses citoyens, comment ne pas reconnaître aujourd’hui l’échec de ce projet qui ne dépasse plus l’ambition d’un simple marché commun. Les dossiers à l’ordre du jour de la dernière session de la commission européenne sont symptomatiques de ce manque de projet commun : le Brexit, le renforcement du contrôle aux frontières et la cyber-sécurité…

Une intégration et un élargissement de l’Union Européenne trop rapides, une ligne politique inspirées des doctrines économiques néo-libérales (réduction drastique des dépenses publiques, baisse de charges pour les entreprises) et une commission européenne au pouvoir trop important face au parlement européen et ses représentants élus par les citoyens ont limité cette ambition. Freinées, vidées de leur légitimité, les institutions européennes peinent à construire une Europe au service de ses citoyens.

Source inépuisable de règlements et de normes, l’Union Européenne a su créer des outils, certes imparfaits mais qui dans une économie globalisée servaient de garde de fou. Des outils de régulation en matière de production agricole, par exemple dont on voit aujourd’hui, alors qu’ils n’existent plus, l’importance. Le marché étant désormais seul à réguler, laissant les agriculteurs, dont les effectifs sont en baisse constante dans toute l’Europe, donnés en pâture à des industriels et distributeurs qui n’ont que les mots « marges » et « conquête de nouveaux marchés à l’export » à la bouche.

Nous avons besoin d’Europe, d’institutions fortes qui permettent au travers de règles communes un nivellement par le haut en matière de protection sociale, de défense d’une agriculture de qualité et pourvoyeuse de valeur ajouté pour nos territoires ruraux, de préservation de la ressource en eau et de protection des milieux naturels. Une Europe qui sache construire des partenariats économiques forts afin de mettre en commun les savoirs faires industriels et techniques en matière de développement des énergies renouvelables par exemple. Une Europe solidaire, au côté des pays émergents et garante de la défense des libertés individuelles et de la presse dans le monde.

« L’Europe a été pensée, elle est pensée sur des schémas périmés. Ni fédération, c’est trop ; ni confédération, ce n’est pas assez. Il faut inventer autre chose. » (Edgar Pisani)

 

L'urgence d'une Europe des citoyens

1. Une convergence sociale à travers un traité de l'Europe sociale

Mettre en place des politiques de solidarité et de réciprocité via une harmonisation sociale en lançant le chantier d’un traité de l’Europe sociale. Cet objectif est essentiel pour promouvoir la mobilité et renforcer l’identité et la citoyenneté européennes et cesser la destruction des systèmes de protection sociale.

Concilier les objectifs sociaux et économiques en favorisant l’investissement pour des projets mieux disant d’un point de vue social (sociaux éco-conditionnalité des aides distribuées via les fonds FSE, FEDER). Cette politique permettrait en outre de réduire le dumping social et les délocalisations et serait un préalable à la mise en place d’un impôt européen. En effet, une union monétaire est une étape qui doit mener à une union fiscale qui requiert elle-même une union bancaire et économique.

Enfin, cesser de mesurer la pertinence des politiques économiques à l’aune du PIB qui comme la notion de croissance n’a pas grand-chose à voir avec le bien-être et ne prend pas en compte des aspects essentiels le développement durable.  Il faut remettre à sa place cet indicateur et plus utiliser dans le pilotage des politiques publiques  l’Indice de Développement Humain par exemple.

 

2. Réhabiliter la monnaie comme outil de cohésion sociale

Face à une financiarisation de la monnaie à laquelle n’échappe par l’Euro, les citoyens sont de plus en plus nombreux, aidés par certaines collectivités locales, à se tourner vers des monnaies locales. Celle-ci constitue une opportunité pour remettre la monnaie au service des territoires et du développement des énergies renouvelables. C’est là un signal, parmi tant d’autres pour remettre la monnaie européenne sur le droit chemin. L’euro doit servir à préparer notre avenir collectif et redevenir le liant social qui relie l’individu à la société dans son ensemble. La monnaie ne doit pas être un outil au service de logiques mercantiles.

L’Euro doit avant tout reposer sur un système productif capable de fournir et de répartir plus efficacement et plus équitablement les biens et les services auxquels la monnaie sert de contrepartie. (Jean-François Ponsot, « La monnaie entre dettes et souveraineté » Odile Jacob, 2016)

La possibilité donnée aux banques de générer du crédit pour spéculer doit être interdite car elle créé de l’instabilité financière. Comme à chaque crise, on voit alors la dette privé transférée aux états et donc la responsabilité de les rembourser incomber aux citoyens européens.

L’Europe doit imposer un modèle bancaire irréprochable en séparant les banques de dépôt et les banques de crédit. Ceci réduirait la taille et l’influence des institutions bancaires sur les réformes économiques et sociales à mener. 

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3. Lutter contre la fraude et l'évasion fiscale

Le circuit financier doit être géré dans l’intérêt du public, l’Europe doit donc imposer aux banques certaines règles et  une transparence vis-à-vis des états afin de favoriser la lutte contre l’évasion fiscale et mettre fin à l’impunité dont certains rentiers et grandes entreprises jouissent.

Les dernières avancées en matière de transparence bancaire (La principauté de Monaco vient de signer un accord avec l’UE sur l’échange automatique d'informations sur les comptes bancaires de leurs ressortissants) cachent mal le manque de volonté des états de mettre la pression sur les paradis fiscaux. Selon la fédération syndicale européenne des services publics, les politiques d’austérité ont conduit à la perte de 56 000 postes d’agent du fisc en Europe entre 2008 et 2012 (Eva Joly, Le Monde Diplomatique).

Dans ces conditions, comment entrevoir une véritable justice fiscale, l’Europe doit se donner les moyens, d’une part en travaillant à une convergence fiscal ou la mise en place d’un impôt européen, d’autre part en luttant collectivement contre ces fraudes.

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4. Un plan climat

Les efforts pour réduire notre dépendance aux énergies fossiles et ressources naturelles non extraites sur nos territoires doivent être consentis à l’échelle européenne. Ces investissements d’avenir doivent être supportés collectivement, financés par la banque centrale européenne. Les États devront pouvoir mettre en place sur leur territoire des politiques ambitieuses de développement des énergies renouvelables et s’appuyer sur le savoir-faire d’entreprises européennes, permettant ainsi de mutualiser les coûts de la recherche et du développement dans ces domaines. Ce projet suppose évidemment une sortie progressive du nucléaire, véritable gouffre financier.

Nombre de données et d’études montrent la pertinence de ce type de politique vis-à-vis de la lutte contre le chômage. Ainsi, l'Ademe a récemment évalué l'impact macro-économique de ses scénarios de transition énergétique. Un fort développement des renouvelables et des efforts dans l'efficacité énergétique ramèneraient en 2050 le taux de chômage en France autour de 5 %, voire moins.

Également, s'appuyer sur une politique agricole qui favorise et protège des productions de qualité, pourvoyeuses d'emplois sur nos territoires et qui permet aux exploitations actuelles d'évoluer vers des pratiques agroécologiques. Cette politique devra privilégier des systèmes agricoles plus complexes, par la multi-activité, en mettant la priorité sur la production pour l'alimentation humaine et non animale, donc en réduisant les cheptels présents sur nos territoires, ceci afin de répondre aux enjeux du réchauffement climatique vis à vis duquel l'agriculture à sa part de responsabilité tout autant qu'elle représente une solution.

A une échelle mondiale, réduire les impacts du réchauffement climatique c’est par conséquences réduire les inégalités d'accès à l'eau, lutter contre la désertification et les phénomènes climatiques violents, facteur de déstabilisation et de migrations climatiques. 

Selon l’Internal Displacement Monitoring Center (IDMC), depuis 2008,  c'est environ 25 millions de personnes qui sont déplacées chaque année pour cause de catastrophes naturelles, dont plus de 80 % le sont en raison d’événéments hydro-climatiques (tempêtes, inondations, érosion des côtes, etc.). Même si ces catastrophes ne sont pas toutes imputables au réchauffement climatique, il est à craindre que ce chiffre ne cesse de progresser si aucune politique d'ampleur n'est mené pour lutter contre le réchauffement climatique.

Bien sur, l'Europe devra également inciter plus fortement les banques à désinvestir leur argent des énergies fossiles et des secteurs polluants.

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5. Une Europe plus démocratique

Décidément, l’actualité donne  des raisons de plus en plus évidentes de remettre en cause les institutions européennes et leur légitimité. Le récent pantouflage de l’ancien président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, qui va diriger Goldman Sachs, (la banque dont le rôle fut prépondérant dans la genèse de la crise des subprimes en 2008) montre la collusion des représentants européens avec le monde de la finance. Cette nomination donne du carburant au sentiment anti-européen.

Au préambule du Traité sur l’UE on retrouve cette phrase: « les décisions sont prises le plus près possible des citoyens, conformément au principe de subsidiarité ». Or, des institutions européennes, on ne retient que la complexité de ces instances, le manque de transparence de son fonctionnement (l’exemple des négociations du Tafta). Représentatif de ce manque de gouvernance démocratique,  la commission européenne et ses pouvoirs trop importants et dont le rôle est redondant avec celui du conseil des ministres. De plus, ses membres ne sont pas élus démocratiquement. Il faut donc simplifier ces institutions, en supprimant ou amoindrir l’importance de cette instance qui prête le flanc trop volontiers aux intérêts commerciaux de grande firme, comme cela a été le cas avec Monsanto et la décision abjecte, sans l’accord des états membres de la ré-autorisation du glyphosate en Europe.

Puis comme le suggère Dominique Plihon, membre des Economistes atterrés (Changer l'Europe! Actes Sud), rendre la BCE moins autonomes en la reliant plus fortement au Conseil Européen, organe représentatif des différents pays de la zone euro afin de faire de la monnaie européenne une monnaie au service des citoyens européens.

Comme le suggère Olaf Cramme, (directeur du Policy Network) et Sara B Hobolt, (professeur au "Sutherland Chair in European Institutions" à la London School of Economics),
construire « les grandes lignes des innovations constitutionnelles et institutionnelles qui pourraient triompher des exigences souvent contradictoires pour plus de souveraineté et de démocratie. Proposer des réformes sérieuses et ambitieuses pour nos systèmes politiques nationaux afin qu'ils puissent véritablement intégrer une dimension européenne. » A ce propos, créer une assemblée constituante pour refonder l’Europe serait un bon début, non ?

Ludovic Brossard

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